L'ouvrage commence par une introduction sur l'histoire de la Thessalie et sur la nature de l'esclavage thessalien (Pénestes et "chattel slavery") dont l'étude repose essentiellement sur les nombreuses listes, semestrielles ou annuelles, des nouveaux affranchis, qui apparaissent au 2e siècle a.C. Ces listes constituent la source la plus abondante sur l'esclavage en Thessalie, la plus abondante du monde grec après celle de Delphes, et leur fonction première était de récapituler, à la fin de chaque semestre (Larissa, Phères) ou de chaque année (Hypata), les versements de la part des affranchis à la cité, d'une taxe qui s'élevait d'abord à 15 statères, puis passa, à l'époque impériale à l'équivalent en deniers, soit 22deniers½. C'est précisément sur la nature de cette "taxe" que s'interroge l'auteur: taxe d'affranchissement (manumission tax) ou droit d'enregistrement / de publication (registration / publication fee)?
Pour tenter de répondre à cette question, l'auteur organise son propos en cinq chapitres: le premier remet la question de l'esclavage dans le cadre de la taxation des transactions commerciales au sein des cités grecques; le deuxième analyse les documents thessaliens dans leur spécificité; le troisième tend à prouver, sans pouvoir trancher, que dans le cas de la Thessalie, il s'agit d'un droit de publicité; le chapitre 4 élargit le questionnement à l'ensemble des exemples antiques de taxes d'affranchissement; enfin, le dernier chapitre replace l'apparition de la taxe sur les affranchis en Thessalie dans une explication générale portant sur l'économie et la société thessaliennes d'époque romaine.
Si la série des affranchissements thessaliens n'a pas fait l'objet d'une étude complète depuis la dissertation de Walter Rensch (De manumissionum titulis apud Thessalos) en 1908 et celle de Antoine Babacos (Actes d'aliénation en commun et autres phénomènes apparentés d'après le droit de la Thessalie antique) en 1963, la question particulière de la taxe n'a jamais été abordée qu'incidemment, dans les synthèses sur l'affranchissement ou à l'occasion de la publication de nouveaux documents. C'est pourquoi, on ne pouvait, dans un premier temps, que se féliciter de l'apparition d'une telle étude, mais cet ouvrage présente un défaut majeur dans le traitement des sources, qui entraîne de nombreuses erreurs chronologiques ainsi que des développements et des discussions qui n'ont plus lieu d'être.
Non seulement l'auteur méconnaît beaucoup de travaux récents, mais, lorsqu'elle les connaît et les cite, elle n'établit aucune hiérarchie entre eux et les travaux précédents et se contente de juxtaposer ancienne et nouvelle édition, même lorsque la dernière édition repose sur une révision de la pierre ou de l'estampage. C'est un grave défaut de méthode qui aboutit à "réinjecter" dans la bibliographie d'anciennes lectures que de plus récentes éditions avaient reléguées, à juste titre, au rang de "lectures-fantômes". Pour ne citer qu'un exemple, parmi beaucoup d'autres, on signalera le paragraphe avançant la possibilité pour l'affranchi d'obtenir un délai pour le versement de la taxe, page 41: l'auteur reprend l'ancienne version d'un affranchissement de Chyrétiai (publié par Arvanitopoulos en 1917) avec une lecture, aux trois-quarts restituée, d'un hapax dont le sens n'a jamais été établi (censé attester l'existence d'un report de paiement de la taxe), alors que Bruno Helly a publié en 1982 une réédition de ce texte, à partir de l'estampage conservé à Berlin, où il restituait, en lieu et place de l'énigmatique [χ]ρο[νι]α[ῖ]ον d'Arvanitopoulos, un mot plus attendu, τροπα[ϊκ]όν, désignant la somme versée par l'affranchi. Mais l'auteur juxtapose ces deux éditions et réédite, si l'on peut dire, une lecture fautive dont l'inanité a été prouvée depuis longtemps.
Entre sa méconnaissance de la bibliographie récente et son apparente incapacité à prendre en compte les éditions les plus récentes des inscriptions qu'elle utilise, l'auteur multiplie les erreurs chronologiques: ainsi page 60, les listes de Kophoi (IG IX 2, 102) et de Thèbes de Phthiotide (IG IX 2, 133) sont présentées comme les plus anciennes attestations de versement de la taxe, avec les dates de 185-180 a.C. pour IG 102 et 181/180 a.C. pour IG 133, or Herwig Kramolisch a démontré (depuis 1978!) que ces dates devaient être repoussées au 1er siècle a.C., ce qui bouleverse entièrement les démonstrations de l'auteur pages 121-125. Les plus anciennes listes d'affranchis thessaliens datent de 160 a.C. (Scotoussa) et aucune ne date du 3e siècle a.C. (contrairement à ce qu'écrit l'auteur page 111, mais on ne peut, en l'occurrence, lui en tenir rigueur: l'erreur vient de l'editio princeps et le Corpus d'Atrax, où elle est corrigée, n'est pas encore paru).
L'absence de rigueur induit des erreurs grossières comme pour l'année 131/2 p.C. qui devient l'année de trois stratèges: page 34, dans IG IX 2, 547, le stratège Hippokratidès est placé arbitrairement en 131/2 p.C., mais page 39, note 32, dans l'inscription AE 1910 nº 8, le stratège Argeios est placé la même année, comme le stratège Cocceius Lycos dans IG IX 2, 546, page 36. Nous ne pouvons pas ici multiplier les exemples mais ils ne manquent pas.
On souhaiterait que l'auteur puisse avoir aussi une distance critique plus affirmée face aux démonstrations de ses prédécesseurs, qu'il ne convient pas seulement de reprendre, mais surtout de valider ou d'infirmer: on prendra l'exemple de la série des affranchissements de Démétrias (71-77) que l'auteur place, à la suite de Christian Habicht, au milieu du 3e siècle p.C., ce qui l'incite à avancer une hypothèse sur l'existence de procurateurs à Démétrias en lien avec la Constitutio Antoniniana, certes avec prudence, mais sans voir que la date qu'elle reprend repose sur des rapprochements prosopographiques non démontrés: les inscriptions ne datent pas du 3e mais du 2e siècle p.C. et le fait que tous les stratèges ne portent pas les tria nomina aurait dû la faire réagir. Par conséquent, l'hypothèse qu'elle avance devient entièrement gratuite.
Une lecture attentive de la bibliographie de ces 40 dernières années, notamment des épigraphistes français ou allemands ayant repris une partie de cet ensemble, et s'appuyant systématiquement sur l'autopsie des inscriptions ou sur l'utilisation d'estampages pour les copies anciennes, aurait dû suffire à lui faire prendre conscience que la série des affranchissements est dans un état éditorial qui n'est guère utilisable. L'auteur reconnaît certes que "many inscriptions which mention payments are damaged and fragmentary, so the information extracted from them is often based on conjectured restorations of the lost texts" (10), mais on doute, au vu de ses résultats, que cette sage remarque ait entraîné la volonté de reprendre ab ovo les conjectures formulées sur des bases si peu solides.
La réponse de l'auteur à la question initiale (taxe sur l'affranchissement ou droit de publication?) n'est pas franchement nette et si elle semble opter pour la seconde solution, elle n'exclut pas que la taxe thessalienne ait quelque chose à voir avec la vicesima manumissionum romaine, ce qui paraît totalement hors de propos: la vicesima manumissionum était une taxe de 5% sur la valeur marchande de l'esclave, ce qui implique un montant variable, en outre elle était payée par le manumissor. Or la taxe thessalienne, versée par les affranchis, est toujours du même montant et il faudrait donc admettre que tous les esclaves thessaliens achetaient leur liberté au même prix! De plus, quelques inscriptions, en Magnésie ou dans la Tripolis de Perrhébie, nous permettent de savoir avec certitude (en admettant que le seul bon sens ne suffise pas...) que le prix de la liberté n'était pas fixe, pas plus en Thessalie qu'ailleurs.
D'autre part, on ne peut pas suivre l'auteur lorsqu'elle écrit page 120: "if, as I tend to believe, the recorded payments were levied, wholly or partly, to cover inscription costs, the possibility should be considered that some cities and some freed slaves were content to record manumissions on perishable materials (wooden tablets, papyri) which were then stored in public or private archives". Il est certes indéniable qu'une version complète de l'acte d'affranchissement à proprement parler était déposée dans des archives, mais, dans de très nombreux cas, les "affranchissements" thessaliens sont en fait des listes récapitulatives de versements de la taxe et constituent donc aussi des sortes de documents comptables, par lesquels les magistrats chargés de percevoir cette taxe rendaient leurs comptes en fin d'exercice: il n'est pas concevable que certains affranchis aient pu en quelque sorte "choisir" de ne pas se déclarer pour économiser la taxe, contournant ainsi le nomos de la cité!
En somme, cet ouvrage apporte peu en l'espèce et la plupart des nouveautés ne sont pas à retenir. Dans sa conclusion l'auteur n'est pas en mesure de trancher dans la plupart des débats qu'elle ouvre, non pas toujours faute de documents, mais faute d'avoir traité avec soin les documents qui auraient pu lui apporter des réponses ou qui auraient dû lui permettre de reformuler les questions.
Rachel Zelnick-Abramovitz: Taxing Freedom in Thessalian Manumission Inscriptions (= Mnemosyne. Supplements - History and Archeology of Classical Antiquity; Vol. 361), Leiden / Boston: Brill 2013, XVI + 176 S., ISBN 978-90-04-25389-6, EUR 92,00
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