Figures omniprésentes à la fin du Moyen Âge, les mercenaires et les routiers de la guerre de Cent Ans témoignent d'un processus de professionnalisation des conflits, mais aussi de l'un de leurs aspects les plus sombres. Considérés comme un fléau par les populations civiles, pillant et rançonnant, les routiers offrent le visage le plus sombre du combattant médiéval sans foi ni loi, à l'opposé de l'éthique chevaleresque.
Bien que l'historiographie récente ait renouvelé l'intérêt pour ces guerriers, aucun colloque ne leur avait jamais été consacré jusqu'à celui organisé en l'honneur de Jonathan Sumption à Berbiguières en Périgord, les 13 et 14 septembre 2013. La publication de ses actes réunit dix-neuf auteurs venus de France, d'Angleterre, d'Allemagne et des états-Unis, tous grands spécialistes de la guerre à la fin du Moyen Âge en Occident. C'est dire la richesse de cet ouvrage qui offre généreusement à ses lecteurs la publication de nombreux documents inédits et une bibliographie exhaustive. Ils brossent un tableau presque complet des aspects de la question, dans un espace géographique très large depuis l'Aquitaine à la Provence en passant par la Lorraine et la Prusse. On peut regretter que la péninsule ibérique, quoique bien représentée par nombre de ses natifs, n'ait guère été abordée, ainsi que l'Italie.
Afin de dépasser l'image d'Epinal du routier, les contributions proposent une diversité d'approches et de thématiques, plus ou moins classiques, mais toutes renouvelées, dans le sillage des travaux de Philippe Contamine en faveur d'une anthropologie des combattants. L'enquête historique se fait tantôt sérielle tantôt individualisée, mettant en miroir des biographies de chefs de guerre comme celles de Bernard de La Sale, proposée par Armand Jamme, de Jean de Blaisy brillamment retracée par Philippe Contamine, de Robert de Sarrebrück par Valérie Toureille ou encore celle du routier Perrinet Gressart, un inconnu célèbre de la guerre de Cent Ans, par Kelly de Vries et des portraits de groupes. Ces bandes de routiers offrent souvent les mêmes origines géographiques, comme les routiers gascons, basques, agenais et périgourdins travaillant pour le roi d'Angleterre présentés par Guilhem Pépin, les mercenaires bretons au service de Robert, duc de Bar dans la lointaine Lorraine entre 1372-1373, étudiés par Michel Jones, ou inversement les Gens d'armes "savoyards" guerroyant en Gascogne en 1338-1341 pour le roi de France découverts par Françoise Lainé. à lire ses parcours individuels et collectifs, justement agrémentés par leurs auteurs de cartes, on ne peut qu'être frappé par l'ampleur des migrations de ces troupes de guerriers d'un bout à l'autre de l'Europe et leurs perpétuels déplacements.
Cette volatilité des combattants professionnels pose la question de leur mode de recrutement et de leurs rapports avec leurs employeurs. Ainsi Germain Butaud se penche sur la présence des mercenaires actifs sur les champs de bataille de la guerre civile en Provence (1383-1388), tandis que Christophe Masson s'intéresse au recrutement des compagnies d'aventure par les chefs militaires français à Gênes et à Naples à l'époque du Grand Schisme d'Occident. Bertrand Schnerb analyse le recrutement et l'origine géographique des mercenaires dans les armées du duc de Bourgogne au début du XVe siècle et traque leurs évolutions tandis qu'Anne Curry évoque les difficultés des autorités anglaises à engager des combattants efficaces et loyaux. Peu de contributions s'intéressent aux routiers dans la guerre, c'est peut-être une lacune au sein de cet ouvrage si complet, uniquement comblée par l'excellente étude de Nicolas Savy sur les procédés tactiques des compagnies anglo-gasconnes entre Garonne et Loire (1350-1400). De façon plus traditionnelle, faisant écho aux complaintes du temps, plus nombreux sont les travaux sur l'impact des routiers sur les populations civiles, au cœur de la Jacquerie de 1358 pour Justine Firnhaber-Baker, ou en Gascogne pendant la guerre de Cent Ans, mais ici Pierre Prétou inverse la focale en montrant les routiers victimes de la haine et de la vengeance des communautés.
Au fil de ces approches diverses, dans le temps, la géographie, ou les champs de bataille, émerge la difficulté à définir ces combattants: hommes d'armes, soldats et mercenaires ou bien tout à la fois, ou successivement. Les parcours d'individus comme Antoine de Chabannes, capitaine d'écorcheurs et officier royal, présenté par Loïc Cazaux illustrent bien cette réalité mouvante de la guerre et le flou qui règne entre les statuts des individus au fur et à mesure de carrières bien remplies. Le critère de la fidélité au même prince, que ce soit pour les Gascons sous la bannière anglaise, ou les anciens partisans du comte d'Armagnac, intégrés dans l'armée du roi de France, est peut-être le plus clair à définir. Il est sans doute plus opératoire que la traditionnelle opposition entre mercenaires gagés et idéal chevaleresque, mercenariat et service du roi, comme le montre l'excellente enquête de Werner Paravicini sur les "routiers" qui ont entrepris le Voyage de Prusse, non pour l'appÂt du gain, mais bien davantage à la recherche de l'honneur et de la gloire
L'apport principal de cet ouvrage, désormais indispensable pour toute étude du mercenariat à la fin du Moyen Âge, est sans aucun doute de mettre à bas la traditionnelle opposition entre armées régulières et routiers.
Guilhelm Pépin / Françoise Bériac / Frédéric Boutoulle: Routiers et mercenaires pendant la guerre de Cent ans. Hommage à Jonathan Sumption. Actes du colloque de Berbiguières (13-14 septembre 2013), Pessac: Ausonius Editions 2016, 358 S., 7 Farb-, 4 s/w-Abb., ISBN 978-2-35613-149-2, EUR 25,00
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