La médiéviste Claude Gauvard a publié en 2022, aux éditions Gallimard, sans doute à leur demande, un essai consacré à Jeanne d'Arc qu'elle qualifie, de manière surprenante, d'« héroïne diffamée et martyre ». Son initiative peut surprendre, Claude Gauvard étant surtout connue pour ses travaux sur le crime et l'histoire de la Justice. Le résultat, il faut l'avouer, est assez contrasté, même si la voie était étroite. Régine Pernoud, dont elle ne cite pas les travaux, avait tracé le sillon, mais il lui manquait la traduction du procès en nullité, publiée tardivement. Colette Beaune avait complété par des considérations d'une grande finesse sur l'univers des représentations. Françoise Michaud-Fréjaville y avait ajouté sa profonde connaissance de l'Orléanais. D'une certaine façon, l'historiographie de Jeanne est d'abord féminine.
Claude Gauvard justifie son livre par la découverte d'une archive inédite. Il ne s'agit en fait que d'une injure, proférée postérieurement au procès de réhabilitation par un seigneur du Nivernais, par ailleurs gendre de l'un des principaux ennemis de Jeanne, Perrinet Gressart, un capitaine à la solde des Anglais. Cela constitue une base bien fragile pour une démonstration. Jeanne d'Arc a été diffamée par les Anglais, qui la considéraient comme une sorcière, et par leurs amis. Qu'il en reste des traces quelques trente ans plus tard, cela n'a rien d'étonnant. Mais la mention pèse peu au regard des nombreuses manifestations d'admiration, mais aussi de dévotion qui ont forgé son mythe.
Claude Gauvard a découpé son ouvrage en six chapitres et leur énumération suffirait à annoncer une synthèse classique, courant du « supplice » à « l'honneur retrouvé ». Malheureusement, en passant sous silence d'importants travaux conduits sur le sujet depuis une dizaine d'années, en particulier sur la Lorraine et l'environnement de Jeanne d'Arc, elle fournit un ouvrage « daté ». C'est peut-être ce qui la conduit à multiplier les contre-sens, qui ne manquent pas de surprendre au regard des travaux publiés récemment. Ces contre-sens concernent tout à la fois la Lorraine et ses composantes géo-politiques, l'histoire politique et les institutions, mais aussi Jeanne d'Arc elle-même et sa famille. Le grand public y trouvera peut-être son compte, mais les familiers du sujet resteront sur leur faim. Il est vrai que les contraintes de la collection, qui interdit les notes de bas de page et limite la bibliographie à l'indigence, imposait à l'auteur une rigueur particulière. La cote de la « fameuse » nouvelle pièce n'est même pas mentionnée !
Assénées sans le support de preuves, une série d'affirmations sont contestables. Elles portent d'abord sur la géographie de la Lorraine, du Barrois et de l'enclave de Vaucouleurs. Cette géographie est certes difficile à maîtriser, mais on ne peut comprendre la démarche de Jeanne sans tenir compte de l'environnement si particulier au sein duquel elle a grandi. Faire débuter le duché de Lorraine sur la rive gauche de la Meuse, en face de Domrémy, constitue ainsi un grave malentendu. De la même façon, prétendre que Baudricourt aurait combattu à Maxey des Bourguignons relève d'une grossière erreur de lecture, la bataille ayant opposé Robert de Sarrebrück à un parti de Lorrains. Il est dommage, sur ce point, qu'elle n'évoque pas des travaux antérieurs, qui ont bien montré la démarche entreprise par les habitants de la paroisse, dont le père de Jeanne, auprès du seigneur de Commercy pour demander sa protection contre des hommes de guerre en maraude. Ce n'est d'ailleurs pas un appâtissement (72), dont il s'agissait mais d'un « conduit », c'est-à-dire d'une protection accordée contre rétribution. Quant au seigneur sollicité, il ne s'est jamais appelé Robert de Commercy, mais Robert de Sarrebrück. Là encore, il aurait fallu insister sur les liens étroits qui l'unissaient à Robert de Baudricourt, capitaine de Vaucouleurs pour le compte du roi. Au-delà, l'audience demandée par Jeanne à Baudricourt ne se comprend que parce que la partie de la paroisse où habitait la famille de Jeanne relevait de l'enclave dont il avait la charge.
« Jeanne d'Arc ne savait ni lire ni écrire », écrit Claude Gauvard de manière péremptoire, alors que nombre de preuves avancées par l'historiographie récente prouve le contraire. Les jeunes filles à la fin du Moyen Âge pouvait recevoir une éducation dans les petites écoles, et l'on ne comprendrait pas pourquoi Jeanne porte une telle attention à l'écrit si elle était analphabète. Il n'est pas non plus fait mention de la consultation par Jeanne d'un élément du procès alors qu'elle est prisonnière, ce qui invaliderait cette interprétation. L'auteur réfute également le voyage effectué par sa mère, Isabelle Romée, au Puy-en-Velay. Les archives sur ce point sont pourtant assez convaincantes (des quêtes organisées dans le diocèse de Troyes entre 1417 et 1429, pour aider les pèlerins à se rendre au pèlerinage au Puy-en-Velay) et la question des distances est résolue par l'examen des dates.
Des maladresses d'écriture auraient pu être évitées. Personne ne pense que Jeanne s'est coupée les cheveux pour échapper aux poux (82). Et personne ne doute du fait que les jeunes filles menacées de viol résistent à leur agresseur (100). De la même façon, sur un sujet que connait bien Claude Gauvard, l'exécution publique est loin d'être un prélude nécessaire à une entrée princière (22). Au total, le nombre des erreurs ou des approximations qui perturbent la lecture, donne le sentiment d'un ouvrage écrit à la hâte, qui aurait mérité une relecture attentive. Il est vrai que l'on hésite depuis l'introduction sur la nature même de la commande. S'agit-il d'un essai ? Mais si tel est le cas, quelle est la démonstration ? S'agit-il d'une synthèse pour un large public ? Le développement rédigé sur le croquis de Fauquembergue en est une illustration. Le dessinateur ne manque pas de talent, mais n'a jamais vue son modèle, et ni sans doute personne qui ne l'a vue. Le dessin est un délassement. De mon point de vue, il ne méritait pas d'être interprété, encore moins d'y lire les ailes d'un dragon et les traits d'une prostituée. Au-delà, on sent chez l'auteur la même difficulté qu'ont eu une partie des historiens laïques à traiter de la question de la foi. Pour le reste l'auteur utilise une grille de lecture qui a porté une historiographie aujourd'hui datée sur les thèmes de l'opinion, de la communication ou des instruments du pouvoir.
La conclusion de Claude Gauvard est plus étonnante encore, dès lors qu'elle invite les historiens à ne pas écrire l'histoire de Jeanne d'Arc. Ce serait un bien étrange conseil que de refuser de renouveler l'histoire d'un personnage pour laquelle nous disposons d'une centaine de témoignages. Faudrait-il pour les mêmes raisons abandonner toute idée d'écrire la biographie de Marie-Antoinette ou de Germaine de Staël ?
Claude Gauvard: Jeanne d'Arc. Héroïne diffamée et martyre (= Des femmes qui ont fait la France), Paris: Éditions Gallimard 2022, 188 S., ISBN 978-2-0701-7855-1, EUR 18,00
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