sehepunkte 25 (2025), Nr. 1

Grégory Combalbert / Chantal Senséby: Écrire à l'ombre des cathédrales

Cet ouvrage résulte d'un colloque tenu en 2016 à Cerisy-la-Salle, organisé par Grégory Combaldert et Chantal Senséby, consacré à l'étude de la production écrite des lettrés vivant "à l'ombre des cathédrales". Il s'inscrit dans le renouveau de l'histoire de l'écrit médiéval depuis plusieurs décennies, des travaux pionniers de Michael T. Clanchy (From Memory to Written Record, 1979) aux concours d'agrégation en France en 2020 et en 2021, dont il était le thème central. Toutefois, le champ est vaste et certains domaines restent encore inexplorés, comme c'était le cas de l'écrit cathédral - au sens large du terme, et donc dépassant le seul écrit épiscopal - qui, au contraire de l'écrit monastique ou pontifical, n'avait pas été placé au cœur d'un travail de recherche.

C'est désormais chose faite et la recherche collective proposée dans ce livre aborde la production écrite dans l'espace anglo-normand sous les Plantagenêts au XIIe siècle, un lieu précurseur des pratiques administratives médiévales. Il offre une perspective comparative entre les sphères anglaises et françaises, et met en lumière l'évolution des usages documentaires. Composé de dix-huit articles, d'une introduction d'Olivier Guyojeannin et d'une conclusion de Véronique Gazeau, il s'organise en trois parties complémentaires : la première cherche à comprendre la diplomatique épiscopale, la seconde observe les différents acteurs de l'écrit cathédral, et la troisième se concentre sur le processus de conservation et de transmission de l'écrit entre le XIe et le XIIIe siècles. L'objet au cœur de l'ensemble des articles est celui de l'administration épiscopale et de ses satellites (chapitres, collégialités, institutions hospitalières se trouvant à proximité). Il s'agit ainsi de comprendre les lieux de production de l'écrit documentaire, qu'il s'agisse des premières chancelleries épiscopales en formation, ou bien des chapitres cathédraux, qui acquièrent progressivement une certaine indépendance vis-à-vis des évêques. On peut alors observer l'évolution de la pratique diplomatique, puisqu'elle se densifie et se standardise, permettant ainsi la naissance de répertoires de formules qui circulent entre les espaces. Enfin, les hommes au cœur de ce système, leur rôle, leur influence sont étudiés de près, afin de comprendre comment ils s'emparent de l'écrit comme d'un outil puissant au service de l'évêque et de son entourage.

Les sept premières études sont centrées sur l'espace continental de l'empire Plantagenêt. Les auteurs y ont observé l'émergence d'une diplomatique épiscopale propre, soumise à de nombreuses influences - monastique, canoniale, royale, pontificale - mais qui, selon des temporalités et des géographies variées, s'autonomise peu à peu. La question, lancinante, concerne la nature de cette "chancellerie" cathédrale qui se dessine peu à peu, non comme une structure très organisée mais plutôt comme un "bureau d'écrit" au service de l'évêque. Plusieurs évêques, comme Guillaume de Passavant au Mans (Richard E. Barton) et Ulger à Angers (Chantal Senséby), jouent un rôle actif dans l'organisation et la hiérarchisation des actes, et renforcent leur autorité par une meilleure structuration de la production écrite. À Cambrai, Werinbold développe un formulaire stable, qui illustre l'institutionnalisation progressive des chancelleries (Evelyne Leclercq). Celles-ci varient toutefois selon les diocèses. À Bayeux, malgré la présence d'un chancelier, l'absence d'uniformisation montre une organisation plus lâche (Richard Allen). À Évreux, au contraire, une chancellerie active développe des pratiques formalisées au service de l'évêque, du chapitre mais aussi de tiers (Grégory Combalbert). L'implication directe d'acteurs variés comme Milon Ier à Thérouanne, avec ses annotations à la première personne (Benoît-Michel Tock), ou l'écolâtre de Noyon, qui concurrence ou même remplace le chancelier et participe à l'autonomisation de la sphère cathédrale (Thierry Kouamé), montre l'importance des figures érudites dans la gestion et l'évolution des pratiques diplomatiques cathédrales.

La place et le rôle des acteurs de l'écrit cathédral sont au cœur des cinq études suivantes. L'un des aspects majeurs de la "révolution de l'écrit" est en effet l'essor du nombre d'acteurs impliqués dans la production et la conservation de l'écrit documentaire. Ce phénomène se manifeste particulièrement autour de la cathédrale, où les émetteurs de textes se multiplient et se diversifient, stimulés par la "révolution scolaire" et la demande croissante des chancelleries en personnel qualifié. Les acteurs de l'écrit soutiennent alors l'administration ecclésiastique et judiciaire à travers des pratiques documentaires de plus en plus structurées. À Hereford (Julia Barrow), les chanoines utilisent fréquemment des vidimus pour conserver les chartes épiscopales. À Clermont (Emmanuel Grélois), la consolidation du chapitre cathédral entraîne l'émergence de nouvelles formes administratives et juridiques, tandis qu'à Rouen, l'officialité épiscopale, à travers l'excommunication de quatre franciscains par l'archevêque Guillaume de Flavacourt en 1285, illustre la standardisation des pratiques judiciaires et documentaires (Caroline Simonet). L'écrit constitue alors un levier essentiel dont usent les bureaux d'écrit pour renforcer leur autorité. Le chapitre de Notre-Dame de Paris (Lucie Tryoen Laloum) impose ainsi son pouvoir en centralisant la rédaction des actes officiels, et affirme par ce biais son contrôle administratif sur plusieurs établissements parisiens.

L'explosion documentaire s'accompagne enfin d'un souci croissant de conservation des écrits. Cette préservation s'inscrit dans un contexte plus global de renforcement des pouvoirs et d'une légitimation qui se fait de plus en plus par l'écrit. Ainsi, cartulaires et registres servent à la fois d'outils de gestion et de construction mémorielle d'un pouvoir. La conservation sert donc tout d'abord des logiques liées au gouvernement épiscopal. L'Exon Domesday, produit en 1085 sous Guillaume le Conquérant, illustre ainsi comment l'évêque d'Exeter et ses scribes participent au recensement pour servir à la fois le pouvoir diocésain et royal (Francisco Álvarez López, Julia Crick et Lois Lane). De manière similaire, les évêques de Lincoln, Hugues de Wells et Robert Grosseteste, organisent la production de registres épiscopaux pour centraliser les informations administratives ou réformer le diocèse (Philippa Hoskin). À Rouen, l'archevêque Eudes Rigaud transforme le "registre des églises" en outil de contrôle (Grégory Combalbert et Émeline Mancel). La préservation des droits et la construction identitaire se trouvent alors au cœur des pratiques scripturaires. Les cartulaires de Worcester et Cantorbéry témoignent d'une volonté de protéger les droits fonciers et de renforcer l'identité monastique après la conquête normande. Le cartulaire de Hemming, qui inclut récits et actes juridiques modifiés, montre notamment une mémoire écrite mobilisée pour légitimer les revendications foncières (Francesca Tinti). Le cartulaire G122 d'Évreux répond à une logique similaire en consolidant les libertés du chapitre cathédral (Thomas Roche). Enfin, l'écrit devient un vecteur de mémoire collective : l'obituaire de l'hôpital de la Madeleine de Rouen, conservé par des chanoines augustins, illustre des pratiques d'archivage qui reflètent l'interaction entre société urbaine et institutions religieuses médiévales (Elma Brenner).

Le défi de la publication d'actes de colloque a été relevé, et cet ouvrage propose une étude remarquablement cadrée, qui répond au sujet posé avec un réel souci de pertinence et de cohérence. Cela est certainement dû aux introductions des trois parties, rédigées par les directeurs, qui en soulignent la logique et permettent de suivre aisément le fil conducteur qui conduit la démonstration. Les contributeurs ont également eu à cœur de rejoindre, tout au long de leurs exposés, la problématique collective - la naissance de bureaux d'écrit cathédraux, et toutes ses conséquences - ce qui donne à l'ensemble une unité de ton tout à fait appréciable. L'ouvrage a permis, finalement, de présenter une face moins courante de l'écrit cathédral, celui des usages scripturaires autour de l'évêque, face à lui, en compétition ou en collaboration. La spécificité de la scripturalité cathédrale a été ainsi montrée au fil des différentes contributions, et l'ensemble complète habilement le champ historiographique qui, bien que très densément renouvelé ces dernières années, se trouve ainsi enrichi d'un jalon significatif.

Les annexes finales, très utiles, proposent une table des sources, accompagnées de liens vers des bases de données accessibles en ligne, ainsi qu'un index des noms de lieux et des noms de personnes, permettant une recherche aisée dans l'ouvrage qui prend l'allure d'un véritable ouvrage de synthèse.

Rezension über:

Grégory Combalbert / Chantal Senséby: Écrire à l'ombre des cathédrales. Espace anglo-normand et France de l'Ouest, XIe-XIIIe siècle (= Collection "Histoire"), Rennes: Presses Universitaires de Rennes 2024, 414 S., ISBN 978-2-7535-9435-7, EUR 28,00

Rezension von:
Cécile Barluet
Université Paris Nanterre
Empfohlene Zitierweise:
Cécile Barluet: Rezension von: Grégory Combalbert / Chantal Senséby: Écrire à l'ombre des cathédrales. Espace anglo-normand et France de l'Ouest, XIe-XIIIe siècle, Rennes: Presses Universitaires de Rennes 2024, in: sehepunkte 25 (2025), Nr. 1 [15.01.2025], URL: https://www.sehepunkte.de/2025/01/39248.html


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