Irene Plein: Die frühgotische Skulptur an der Westfassade der Kathedrale von Sens (= Beiträge zur Kunstgeschichte des Mittelalters und der Renaissance; Bd. 12), Münster: Rhema Verlag 2005, 407 S., 368 Abb., ISBN 978-3-930454-40-2, EUR 66,00
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L'importance de la façade de la cathédrale de Sens pour l'évolution de la sculpture gothique autour de 1200 est largement reconnue depuis le travail fondamental de Willibald Sauerländer, Von Sens bis Strassburg (1966), mais cet ensemble n'avait jamais fait l'objet de la monographie qu'il méritait. Son remaniement à partir de 1268 et son mauvais état de conservation étaient de nature à décourager l'entreprise. Le présent ouvrage relève le défi de manière exemplaire, en menant l'enquête sur tous les fronts, de l'interprétation des sources à la réflexion sur le fonctionnement des chantiers, en passant par une étude stylistique très fine et par une analyse iconographique solidement argumentée. L'attention portée aux relations entre les grands chantiers de la période conduit à une révision générale de la chronologie.
Résumons trop rapidement les conclusions d'Irene Plein. Le déchiffrement iconographique du portail gauche, consacré à l'histoire de saint Jean Baptiste, permet de le mettre en relation avec la translation des reliques. Il a probablement été construit entre 1187 environ et la translation de 1192, suivant de peu le portail de Senlis et le portail central de Mantes. Le soubassement du portail central devrait suivre immédiatement à partir de 1193 et constituer la source d'inspiration pour celui de Notre-Dame de Paris qui réagit à son tour sur le soubassement du portail gauche de Sens, dû à un remaniement difficilement explicable. Le saint Etienne du trumeau subit l'impact du portail du Jugement dernier de Chartres, probablement sculpté entre 1195 et 1204, et inspire en retour celui du portail des martyrs, tandis que les archivoltes, qui se situent dans la même phase stylistique que la façade de Laon, témoignent de la connaissance du portail chartrain du Couronnement de la Vierge. Le portail central devrait avoir été achevé entre 1205 et 1210. En somme, une évolution stylistique qu'on s'entendait le plus souvent à faire démarrer vers 1170 avec Senlis pour aboutir aux alentours de 1220 à Chartres se serait produite deux fois plus rapidement, approximativement de 1185 à 1210.
Cette révision drastique se confond en grande partie avec le rejet des thèses de Sauerländer, pour qui des ateliers entiers migraient d'un chantier à l'autre, lorsqu'une tâche était achevée. Selon lui, le portail saint Jean de Sens était dû à un atelier venu de Mantes, tandis que les portails chartrains avaient été entrepris par des ateliers venus de Sens et de Laon. Dans cette perspective, les chantiers se succèdent à la queue leu, d'où l'étirement de la chronologie. Irene Plein montre au contraire que les voussures du portail central de Mantes, par exemple, présentent des nouveautés stylistiques par rapport au portail saint Jean de Sens, ce qui laisse supposer que les sculpteurs évoluaient sur place. De même, les interférences entre Sens et Chartres montrent que les chantiers travaillaient parallèlement, communiquaient et échangeaient les innovations. L'examen de la sculpture de Saint-Pierre-le-Vif, de Sainte-Colombe-lès-Sens et du palais synodal confirme l'évolution sur place d'un groupe de sculpteurs. Il va de soi que l'hypothèse de sculpteurs sédentaires ne saurait être généralisée, les déplacements d'un chantier à l'autre étant monnaie courante, mais elle est bien probable dans le cas de Sens et dans tous les cas où il y avait assez de travail dans une ville importante. En revanche, Irene Plein raisonne le plus souvent, comme Sauerländer, en termes d'ateliers. Il nous semble au contraire que les maîtres sculpteurs, flanqués d'un apprenti et de quelques ouvriers non qualifiés, sont les unités à prendre en compte. L'un d'eux devait avoir la direction du chantier, les autres pouvaient très bien circuler d'un chantier à l'autre selon les besoins. Cette hypothèse, vers laquelle Irene Plein tend par moments, est sans doute la mieux à même d'expliquer les interférences et de rendre justice aux observations les plus indiscutables de Sauerländer.
La solidité d'une thèse qui met en jeu la chronologie d'un ensemble de monuments tient à celle de chacune de ses parties. Dans le cas de Chartres, Irene Plein apporte d'excellents arguments pour faire démarrer la sculpture des transepts peu après l'incendie de 1195, avec une parfaite connaissance du dossier. Mais il est étonnant qu'elle fasse démarrer le soubassement du portail central de Notre-Dame de Paris peu de temps après celui de Sens, soit encore au XIIe siècle, sans même faire l'état de la question, d'autant plus qu'il existe un document: en 1208, le doyen et le chapitre offrent à l'hôtel-Dieu une rente annuelle de vingt livres parisii en dédommagement des maisons détruites devant le porche de Notre-Dame pro necessitatibus fabrice ecclesie. Il ne s'agit pas exactement de l'acte de naissance de la façade, car un tel règlement peut être le résultat d'une longue procédure et suivre de plusieurs années la destruction des maisons, préalable à l'érection de la façade. En outre, les travaux de sculpture peuvent précéder de plusieurs années le montage. Mais tout cela aurait mérité une discussion serrée.
La succession des chantiers est largement déduite des comparaisons stylistiques, lesquelles ne se limitent pas à des considérations sur le drapé, mais prennent judicieusement en considération la composition des scènes, l'interaction des personnages et l'émancipation progressive des postures. L'extrême finesse des analyses présente cependant un danger. Irene Plein ne tient pas compte du nombre probable des œuvres perdues et raisonne comme si nous possédions tout. Malheureusement, lorsqu'une œuvre semble dériver d'une autre, en dehors de l'imitation évidente d'un chef-d'œuvre, il y a toujours la possibilité qu'elles dérivent toutes deux d'une troisième. Or, comme elle l'a bien vu, l'évolution stylistique est prodigieusement rapide autour de 1200. Il suffit donc qu'un sculpteur ait ignoré pendant trois ou quatre ans une nouveauté dont tel de ces collègues a tout de suite pris connaissance pour que ce qu'il sculpte paraisse plus ancien.
Aucune estimation n'est faite du temps nécessaire à la réalisation d'un portail et on peut s'étonner que l'auteur fasse durer environ cinq ans celle du portail saint Jean de Sens (la réfection du soubassement non comprise) et de douze à dix-sept ans celle du portail central, comme si le refus de faire se succéder les ateliers entraînait un étirement des tâches qu'ils auraient effectuées parallèlement. Pourtant, malgré les réserves qui viennent d'être exprimées sur la subtilité des comparaisons, malgré aussi les disparités stylistiques que peut entraîner l'utilisation successive du bas-relief, du haut relief et de la statuaire, il est peu probable que le portail central ait été sculpté d'un seul jet: les archivoltes et la statue du trumeau n'appartiennent pas à la même phase stylistique que le soubassement. L'auteur constate un décalage semblable entre le tympan du portail central de Mantes et ses archivoltes qui paraît également peu contestable.
Il est peut-être possible d'expliquer cet étrange parallélisme en faisant état d'un problème comparable, celui du portail central de Notre-Dame de Paris, dont le tympan devait être prêt vers 1220, mais ne fut sans doute monté qu'une vingtaine d'années plus tard, avec d'importantes réfections. Dans ce dernier cas, il semble qu'on ait retardé le montage des parties hautes et du trumeau pour ménager aux charrois l'accès à l'intérieur de l'édifice, pour travailler au voûtement, par exemple. Les archivoltes sont sans doute les pièces les plus difficiles à ajuster et il n'est pas impossible qu'on ait attendu le moment du montage pour les sculpter au fur et à mesure. Somme toute, Wilhelm Schlink a montré qu'on a encore sculpté au coup par coup les portails de la cathédrale d'Amiens, malgré le degré de préfabrication atteint sur ce chantier.
Les quelques réserves que nous a suggérées la thèse d'Irene Plein ne doivent pas faire perdre de vue l'essentiel: ce travail démontre une rare maîtrise et comble une grosse lacune. En même temps, il propose une nouvelle approche de la succession des chantiers qu'il serait absurde de systématiser, mais dont il faudra sans doute tenir compte pour d'autres édifices. A quand un travail comparable sur la façade de Laon?
Jean Wirth