Philip Sabin / Hans van Wees / Michael Whitby (eds.): The Cambridge History of Greek and Roman Warfare, Cambridge: Cambridge University Press 2007, 2 vol., xvii + 663 + xiv + 608 S., ISBN 978-0-521-85779-6, GBP 220,00
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Il est inutile de dire que ces deux volumes répondront à presque toutes les questions que les lecteurs peuvent se poser. Conçus par de grands historiens et rédigés par une pléiade de savants de haut niveau, les différents chapitres représentent un apport essentiel pour nos disciplines. Leurs textes montrent bien que l'histoire militaire apporte beaucoup à l'histoire générale, à l'étude de la politique, de l'économie, de la société, de la religion et de la culture, et que ces différents thèmes sont liés les uns aux autres. Ces pages, près de 1300, promettent de tout dire sur l'armée romaine. Il n'est pourtant pas sûr que toutes les promesses aient été tenues, en raison sans doute de la conception de l'ouvrage, comme nous le verrons.
Cette histoire de la guerre s'ouvre sur deux chapitres de généralités, qui débutent par un peu d'historiographie (nous contestons ce qui est écrit p. 11, n. 13: il n'y a pas de "French School"; beaucoup de chercheurs ne partagent aucune des idées d'Y. Garlan). Puis on aborde la question des sources, surtout littéraires pour les auteurs, accessoirement archéologiques et épigraphiques, et l'on trouve alors un utile rappel sur la méthode à suivre pour les critiquer. La matière, pour le corps de l'ouvrage, est divisée en quatre parties logiquement chronologiques. Les auteurs ont choisi de traiter d'abord la Grèce archaïque et classique, puis le monde hellénistique et la République romaine, en montrant les nouveautés qui font leur apparition dans cette deuxième étape. Deux empires et donc deux impérialismes prennent leur essor, celui qui anime la Macédoine et les autres États hellénistiques, et celui qui inspire les entreprises des Romains. Inévitablement, ces deux puissances devaient entrer en conflit, ce qui entraîna nécessairement la naissance d'une pratique que nous appelons "stratégie". Il est bien dommage que Carthage et Hannibal n'apparaissent qu'aux coins de quelques pages, par exemple p. 366-367, et le meilleur connaisseur de ces événements, Giovanni Brizzi, n'est même pas présent dans la bibliographie générale (on y attendrait au moins Il guerriero, l'oplita, il legionario, 2e édit., 2008, Bologne, 238 p., où l'on trouvera les références aux travaux antérieurs). Nous pensons pourtant que la deuxième guerre punique a marqué les Romains de manière très forte, et pas seulement sur le plan psychologique. La troisième partie regroupe la fin de la République romaine et le Principat. Les puissances hellénistiques et le monde punique ont été vaincus; l'empire romain s'étend et, de ce fait, se trouve au contact de nouveaux ennemis potentiels, surtout les Bretons, les Germains et l'Iran. Durant cette période, l'armée romaine est invincible, sauf quand une faute du commandement ou une autre circonstance exceptionnelle vient perturber le cours normal des événements. La quatrième partie est consacrée à l'empire romain tardif. Il est actuellement à la mode de dire que la civilisation romaine dans son ensemble a connu une période de renaissance au IVe siècle après la crise du IIIe (crise qui, au demeurant, est même plus ou moins niée dans des travaux récents, par exemple par K. Strobel qui a été oublié dans la bibliographie générale). En conséquence, beaucoup d'historiens actuels créditent Dioclétien et Constantin Ier de réformes essentielles, notamment la création d'une armée "mobile" et d'une armée "immobile" (voir notre critique de la thèse de Theodor Mommsen, Limitanei et comitatenses, Latomus, 66, 3, 2007, 659-672). Nous pensons, à l'opposé, que l'empire romain a dû faire face à des ennemis bien plus dangereux qu'auparavant, les anciens qui se sont réorganisés (Francs, Alamans et Iran) et des nouveaux venus (Goths et autres Germains orientaux). Il faut ajouter à ces difficultés les problèmes financiers rencontrés par l'État romain, qui ne pouvait plus payer des salaires décents aux hommes de guerre. Or, en général, les hommes de guerre veulent bien se faire tuer, à condition d'être convenablement payés tant qu'ils sont vivants. Cette conjonction de deux courants, force des ennemis et faiblesse de Rome, a entraîné les désastres de 406 et 410: il nous semble que, quand la frontière est percée définitivement et quand la capitale est prise, il y a forcément du nouveau du point de vue de l'histoire militaire.
Les auteurs ont pris le parti de diviser chacune des quatre parties de l'ouvrage en six chapitres, répondant aux mêmes questions. A priori, ce choix devrait s'avérer judicieux et donner une forte unité à l'ensemble. Chaque premier chapitre, donc, replace les conflits dans le contexte des relations internationales et de la diplomatie. Le second est également toujours consacré aux forces militaires, aux types de soldats (l'hoplite ou le légionnaire), aux unités (la phalange ou la légion), à l'encadrement, à l'exercice et aux effectifs (d'où des réflexions sur le "manpower"). En troisième lieu, on aborde la question de la "guerre": mobilisation, logistique, ordre de marche, organisation des camps, défensive et offensive. Quatrièmement, on en vient à la bataille, sur terre et sur mer. Un cinquième passage est consacré aux relations entre la guerre et l'État, relations qui sont surtout importantes dans le domaine financier, mais qui intéressent aussi la vie politique. Le sixième et dernier chapitre traite d'autres relations, celles qui existaient entre la guerre et la société. L'armée est toujours, surtout dans l'Antiquité, un miroir de la société, mais un miroir déformant, ne serait-ce que parce que les Occidentaux n'ont jamais considéré que les esclaves étaient dignes de porter les armes.
Si nous avions un regret à formuler, il tient à une volonté de systématisation, à ce découpage de chaque partie en six chapitres. Certes, tout ou presque se trouve dans ces 1250 pages; mais les proportions ne sont pas respectées. En effet, la "Révolution romaine" (R. Syme) s'est accompagnée de transformations importantes dans le domaine de l'armée et dans l'art de la guerre; elles sont liées à la constitution d'un immense empire qui n'avait rien à voir avec les domaines d'Athènes et de Sparte. Il est un peu artificiel, pour faire des parallèles, de mettre sur le même plan l'exercice pratiqué par l'hoplite (si, d'ailleurs, on peut employer ce mot pour cette époque) et celui qui était imposé au légionnaire du IIe siècle de notre ère (G. Horsmann, 1991). Les Romains ont su créer un service de santé qui n'existait pas chez les Grecs (J. Wilmanns, Sanitätsdients, 1995, Hildesheim, 276 p., oubliée dans la bibliographie). Ils ont couvert le monde méditerranéen de constructions et de systèmes défensifs, qui sont très négligés dans ces pages. On sait maintenant que l'Europe n'a pas été défendue de la même manière que l'Orient, l'Afrique et l'Égypte. Ajoutons que le rôle des légionnaires dans la diffusion de la romanité n'a rien à voir avec celui qu'ont pu jouer les hoplites.
Nous répétons que cet ouvrage possède de très grandes qualités et qu'il rendra d'immenses services, mais nous aurions préféré un découpage moins systématique de la matière, afin que la diversité chronologique soit davantage respectée.
Yann Le Bohec