Philippe Depreux / François Bougard / Régine Le Jan (éds.): Compétition et sacré au haut Moyen Âge: entre médiation et exclusion (= Collection Haut Moyen Âge; 21), Turnhout: Brepols 2015, 396 S., ISBN 978-2-503-55331-3, EUR 80,00
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Fruit d'un projet de recherche sur la place et le rôle de la compétition dans les sociétés occidentales du Haut Moyen Âge, cet ouvrage constitue le recueil des actes du deuxième colloque international tenu à Limoges (2 au 4 juillet 2012) consacré à cette question. Après une première rencontre centrée sur la définition de la notion de compétition (Agôn. La compétition Ve-XIIe siècle, 2012), cet ensemble de travaux entend questionner plus précisément les liens entre compétition et sacré dans l'Occident du Ve au XIIe siècle. Récemment il a été encore enrichi par les réflexions du colloque "Rivaliser, coopérer: vivre en compétition dans le Haut Moyen Âge" (19 au 21 mars 2015 à Venise).
L'introduction par Régine Le Jan (5-15) pose le cadre de réflexion des rapports entre sacré et acteurs en compétition pour son contrôle, en rappelant dans un premier temps les définitions retenues pour les notions de compétition et de sacré. Ce faisant, elle souligne la nouveauté de la démarche adoptée lors de ces colloques: les définitions choisies permettent effectivement de se dégager des études traditionnelles sur les conflits au Moyen Âge en s'inscrivant dans le cadre de la Game theory. Elles questionnent ainsi les interactions et les stratégies des différents acteurs qui rivalisent mais aussi qui collaborent, tout en favorisant une incursion dans le domaine de la psychologie des joueurs en lice (Antonio Sennis, 361-378). C'est donc moins une présentation de la diversité des enjeux ou des degrés d'intensité de compétition que propose ce volume qu'une analyse sur des groupes sociaux face-à-face et côte-à-côte.
La table des matières (395-396) reflète la richesse des dix-huit travaux proposés (dont cinq en anglais et une en italien) balayant l'Occident de la Bretagne (Alban Gautier, 36-66) à la péninsule ibérique (Wendy Davies, 125-138) en passant par l'Italie (Giorgia Vocino, 273293) et l'Europe occidentale (Geneviève Bührer-Thierry, 255-272). Bien qu'accompagnée d'un index des noms de personnes et de lieux (379-393), on regrettera cependant qu'elle ne soit pas complétée d'une rapide présentation des contributeurs ainsi que d'une bibliographie des références citées. De même, on peut déplorer que cette même table des matières n'offre pas de classement des contributions par thème ou par problématique, ce qui faciliterait une première lecture. Toutefois, la plupart des articles s'organisent autour d'un plan dont les titres sont mis en évidence, favorisant une rapide prise en main.
Rendre compte de l'intégralité et de la complexité de l'ensemble des travaux réunis est une gageure et nous proposerons plutôt ici de mettre l'accent sur ce qui nous semble être les apports les plus remarquables du recueil. Tout d'abord, ce qui frappe le lecteur c'est l'étendue du champ de compétition des acteurs sociaux autour du sacré. En effet, tout est enjeu: des territoires, notamment des terres (Wendy Davies, Gaëlle Calvet-Marcadé, 313-327; Antonio Sennis) et des espaces porteurs de sacralité (Céline Martin, 67-84), des saints à travers leurs reliques et leur mémoire (Alban Gautier, Giorgia Vocino, Francesco Veronese, 295-312), des charges ecclésiastiques (Albrecht Diem, 165-191; Annette Grabowsky, 217-234; Noëlle Deflou-Leca, 329-346; Charles West, 347-360), mais aussi des textes (Stéphane Gioanni, 1738), des pratiques liturgiques (Geneviève Bührer-Thierry) et des croyances (Hans-Werner Goetz, 235-254).
De même, la gamme des acteurs laïcs et ecclésiastiques est tout aussi étendue: les princes (Rutger Kramer, 139-163) et l'aristocratie (Marco Stofella, Noëlle Deflou-Leca, Geneviève Bührer-Thierry) côtoient les églises locales (Charles Mériaux, 85-102), les diocèses (Marco Stofella, 103-123), les monastères (Albrecht Diem), les papes (Florence Close, 193-216; Annette Grabowsky), les missionnaires prédicateurs (Florence Close, Hans-Werner Goetz) et même les ermites (Céline Martin). C'est tout aussi vrai des formes et des discours d'opposition et de contrôle: liste d'auteurs à recevoir (Stéphane Gioanni), recours à la métaphore biblique (Rutger Kramer), appel aux rêves visionnaires (Antonio Sennis) ou à une autorité d'arbitrage (Florence Close), procédure judiciaire (Annette Grabowsky), production d'une littérature spécifique (Alban Gautier, Céline Martin), voire de faux (Gaëlle Calvet-Marcadé) - tout élément mettant en jeu de subtiles manœuvres de pouvoir (Florence Close, Geneviève Bührer-Thierry).
À ce propos, une étude au prisme de l'analyse de réseaux, doublée d'une approche inscrite dans l'histoire du genre, apporterait sans doute un éclairage plus net sur les jeux d'alliances et leurs retournements, ainsi que les synergies des groupes sociaux - en détaillant par ailleurs la place et le rôle des femmes et des hommes - et leurs emboitements d'intérêt, car c'est sans aucun doute sur ce point que certains travaux sont les plus novateurs. Loin de réduire la compétition à une simple circonscription des conflits, plusieurs articles mettent en exergue non seulement les manœuvres d'inclusion et d'exclusion (Marco Stofella, Noëlle Deflou-Leca), mais aussi les choix de médiation et d'arbitrage et les revirements d'alliances, conduisant à s'interroger toujours plus avant sur la notion même de compétition.
L'autre apport majeur de ce volume est de mettre en lumière les efforts d'apaisement des compétiteurs (Geneviève Bührer-Thierry, Francesco Veronese), leur souci constant de concorde et d'entente, souci qui s'accompagne généralement d'un processus de réglementation toujours plus inventif (Albrecht Diem, Annette Grabowsky, Stéphane Gioanni, Charles Mériaux, Gaëlle Calvet-Marcadé, Charles West), ainsi que de la mise en place progressive de normes sociales et comportementales plus contraignantes (concorde carolingienne Charles Mériaux, ecclesia de Rome Geneviève Bührer-Thierry). Assurément l'élaboration de ces normes, leur diffusion et leur remise en question mériteraient de s'intégrer davantage à ce projet de recherche consacré à la compétition.
Les quelques coquilles d'édition (par exemple pages 193, 200, 221, 254) n'entament en rien l'enthousiasme du lecteur tant cet ouvrage ouvre des perspectives de recherche particulièrement stimulantes qui pourraient certainement être élargies à la période du XIIe au XVe siècle.
Anne-Laure Méril-Bellini delle Stelle