Ittai Weinryb (ed.): Ex Voto: Votive Giving Across Cultures (= Cultural Histories of the Material World), New York: Bard Graduate Center 2016, XIV + 307 S., ISBN 978-1-941792-05-6, USD 65,00
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Le volume dirigé par Ittai Weinryb a été publié dans une collection dédiée à l'histoire culturelle du monde matériel. Logiquement, dans son introduction, Ittai Weinryb insiste sur la matérialité de l'ex voto et sur son caractère humble, prosaïque, tout en soulignant combien il incarne les angoisses et les espoirs des dépositaires. Il rappelle que tout objet peut devenir ex-voto une fois consacré à une divinité selon des modalités fort diverses. En tant que résultant d'une promesse (un vœu) il rend tangible un échange spirituel. Le caractère éphémère de l'ex voto n'entre pas dans le schéma sur le don de Marcel Mauss, qui repose sur une réciprocité d'emblée acquise et qui attache plus d'importance à l'objet donné qu'au rituel (3).
Au fil des pages, la définition initiale se nuance, en distinguant notamment deux types d'ex votos (5): ceux qui impliquent des actes physiques ou mentaux (prier, jeûner, se raser la barbe) et ceux qui impliquent des objets matériels, certains utilisables par le sanctuaire (textiles et vaisselle liturgiques), d'autres hors de la catégorie de l'utilité directe (objets iconiques). Ittai Weinryb trace une limite à l'enquête : les donations de droits sur des terres au Moyen Age ne seront pas ici incluses car cet acte n'incarne pas la personne dans un objet votif (8). A ce titre, les ex votos sont considérés ici comme des ego-documents.
Puis est brossée à grand traits l'historiographie de l'ex voto, rappelant le rôle éminent de Rudolph Kriss et de son immense collection conservée près de Munich (14 000 items). Cette première historiographie fut orientée vers le folklore, la magie et le surnaturel. C'est plus récemment avec l'Ecole des Annales qu'une histoire sociale des pèlerinages au sein de celle des mentalités a fait sa place aux ex votos.
Cette introduction s'achève par une définition plus ouverte mais toujours fondée sur la matérialité : "An ex voto is a technology created to serve as a conduit between the earthly and the divine". Les communications présentées dans l'ordre chronologique depuis la Grèce hellénistique à nos jours, en passant de l'Italie, au Japon, au Mexique, à l'Iran font effectivement la part belle aux objets votifs, mais laissent parfois entrevoir des variations moins matérielles de la transaction votive.
La notion de biographie d'objet et de cycle de vie d'un objet utilisée par Jessica Hughes jointe à une attention extrême au vocabulaire ouvre le volume sur les figures votives en terre cuite de l'antiquité classique. L'auteure rappelle que l'objet devenu votif a changé de nature et s'inscrit dès lors dans des interactions nouvelles avec d'autres objets et d'autres personnes. Elle prend l'exemple d'une statuette féminine fragmentaire en terre cuite provenant du sanctuaire dédié à Diane à Nemi et datant du 4e siècle avant J.C.
Alexia Petsalis-Diomedis inscrit son analyse dans le cadre des sanctuaires antiques de la Grèce hellénistique dédiés à la guérison. Sa présentation des objets votifs (reliefs votifs en marbre et ex votos anatomiques) s'attache à leur miniaturisation, leur fragmentation et les réarrangements, tout en insistant sur la relation entre l'objet votif mimétique du corps de l'orant et l'inscription votive, et la nécessité de prendre également en compte les inscriptions proposant des listes d'objets votifs avec les noms des donateurs. Elle explore in fine les cas limites des épigrammes évoquant des ex votos récités dans l'espace domestique.
Michele Bacci présente les ex votos pro anima [1] dans les communes italiennes du 14e siècle, sous la forme de petits tableaux peints. Il rappelle que le vœu médiéval occidental revenait à une donation de la personne vouée à Dieu ou à ses saints, l'objet votif incarnant ce don en tant que substitut de la personne. Il donne l'exemple (très rare) d'un texte hagiographique de 1347 évoquant l'effigie d'un citoyen de Pise condamné à mort et sauvé par l'intercession de saint Gérard. Puis Michele Bacci analyse les ex votos à saint Nicolas de Tolentino et à la Madone des Monte à Cesena et dans de nombreux autres sanctuaires essentiellement sous forme de peintures murales. Parfois, on peut se demander quelle est la limite entre image hagiographique et image votive (93), notamment pour les tableaux d'autel, certaines peintures murales et quelques portraits.
Megan Holmes place son étude plutôt du côté des sanctuaires où elle analyse les relations qui se tissent entre les suppliants et le lieu lui-même dans l'Italie de la Renaissance. Elle s'intéresse également aux discours critiques des clercs sur les ex votos vus comme des pratiques idolâtres comparables à celles de l'Antiquité classique, mises en image par les peintres de la Renaissance. Ces discours critiques ont pu influencer l'historiographie des ex votos.
Pour la même période, Frederika Jacobs se concentre sur les petit tableaux votifs narratifs - tavolette de facture modeste d'où le titre "Humble offerings" - qu'elle considère non du point de vue du donateur mais comme des objets agissant au sein d'un système de croyance partagée. Elle s'intéresse au processus qui suit la déposition du tableau dans le sanctuaire : sa conservation et sa présentation au cœur de l'espace votif essentiellement marial (églises italiennes). Les premiers petits tableaux votifs apparaissent dès 1470.
Dans une perspective comparatiste, trois communications sortent de l'espace européen et explorent le Japon, le Mexique et l'Iran. Les tablettes ema du Japon pendant la période Edo (1615-1868) sont étudiées par Hilary K. Snow. Les plus petites étaient peintes soit par le donateur soit par un artisan spécialisé sur un support en bois ou en papier et données à un sanctuaire. Les tablettes plus grandes étaient peintes par des artistes et étaient exposées dans une galerie dédiée au sein du sanctuaire, ouverte au public avec tables à thé. Les premières mentions d'ema remontent au 15e siècle, elles développent un régime de narrativité original. Des informations sur les rituels votifs sont fournies par les notes de Ise Sadatake, un intellectuel du 18e siècle.
Clara Bargellini insiste en ouverture de sa communication sur le Mexique colonial sur la mode des ex votos mexicains depuis le début du 20e siècle, comme expression d'art populaire, réunis dans expositions et des collections notamment nord-américaines. Si les ex votos peints sont très nombreux depuis le 18e siècle, ils sont aujourd'hui concurrencés par les photographies et les messages. Pour envisager la variété des ex votos elle s'appuie sur l'étude du sanctuaire de Santo Cristo à Saltillo, puis elle se tourne vers les statues votives de saints et l'importance des vêtements et bijoux votifs dont elles sont parées.
Christiane Gruber montre que malgré les réserves des textes normatifs reprises sur les affichages dans les sanctuaires les dons votifs restent très nombreux dans l'Islam. Certains sanctuaires peuvent accueillir des Juifs, des chrétiens et des musulmans (Alep) ou seulement des chrétiens et des musulmans (Sanctuaire de la Vierge à Ephèse). Dans l'Iran shiite des dons votifs sont adressés aux défunts à l'occasion d'un pèlerinage ou d'une fête religieuse. Dans le Khurasan, on protège chaque enfant en offrant dans les 40 jours après sa naissance ses cheveux ou le poids équivalent en or ou en argent (en aumône) et en sacrifiant un mouton. Le partage de nourriture votive joue un rôle majeur dans les rituels liés à la fête d'Ashura, qui voit alors se multiplier les ex votos visuels dans des mises en scène funéraires.
Pour finir, deux communications ont suivi un objet votif particulier dans la longue durée : les ex votos marins et les crapauds votifs. Hannah Baader analyse les ex votos liés à la mer depuis l'Antiquité jusqu'à la période moderne : au-delà de la permanence de certaines formes, les intentions et les dédicataires ont changé mais ont formé à chaque période des communautés de croyants. Les formes de ces ex votos varient depuis le bateau votif jusqu'au tableau marin. Un tableau de 1880 (Ulysse Butin) représentant l'offrande d'un bateau votif en Normandie est finement analysé. On retrouve ces navires votifs dans toute l'Europe même protestante des 19e et 20e siècles, mais Hannah Baader remonte au Moyen Age pour repérer ces navires votifs dans des peintures et dans des textes. Elle évoque aussi des graffiti de navires trouvés à Malte datant de 1600 avant J.C. et sur les façades d'églises italiennes médiévales : des ex votos pour les plus humbles dévots ? Enfin les représentations de navire dès l'Antiquité portent des couronnes et des images apotropaïques, tandis que certaines peintures médiévales puis modernes placent une croix ou le Christ sur le mât. L'auteure termine par une étude minutieuse de la chapelle Feroni à la Santa Annunziata de Florence et l'ex voto de Giovanni Battista Foggini.
Enfin, Ittai Weinryb suit dans toute l'Europe les ex votos liés à la fertilité féminine. Ils prennent des formes variées. Il donne des exemples d'uterus en bronze ou en terre cuite de l'époque étrusque (4e siècle avant J.C.) jusqu'au 14e siècle devant la statue de sainte Wilgefortis, qui supposent la connaissance de l'anatomie humaine. On trouve depuis l'antiquité romaine des statues d'enfants votives en calcaire puis en cire dans la Bavière du 18e siècle. A la fin du Moyen Age l'uterus votif disparaît au profit des crapauds votifs figurés à côté de l'orante s'adressant à la Vierge ou à sainte Anne. Depuis l'Antiquité, l'uterus était considéré comme un organe indépendant et comparé à un animal.
Un livre à lire absolument, pour la qualité des textes réunis et l'abondance des images (en couleurs) soigneusement légendées et heureusement intégrées dans l'index final.
Note:
[1] L'expression pro anima renvoie à la demande de salut dans l'autre-monde qui pouvait être une motivation votive au moins aussi puissante que l'espoir de guérison.
Marie-Anne Polo de Beaulieu