Rezension über:

S. C. Humphreys: Kinship in Ancient Athens. An Anthropological Analysis, Oxford: Oxford University Press 2018, 2 Bde., XXX + 1457 S., zahlr. s/w-Abb., ISBN 978-0-19-878824-9, GBP 250,00
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Rezension von:
Violaine Sebillotte Cuchet
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Redaktionelle Betreuung:
Matthias Haake
Empfohlene Zitierweise:
Violaine Sebillotte Cuchet : Rezension von: S. C. Humphreys: Kinship in Ancient Athens. An Anthropological Analysis, Oxford: Oxford University Press 2018, in: sehepunkte 20 (2020), Nr. 3 [15.03.2020], URL: https://www.sehepunkte.de
/2020/03/33082.html


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S. C. Humphreys: Kinship in Ancient Athens

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Par son titre, cet ouvrage évoque le contexte des années 1960 lorsque l'anthropologie sociale, dont la parenté constituait la thématique centrale, était une des disciplines les plus novatrices dans le champ des sciences humaines. L'helléniste Sally C. Humphreys était quant à elle une pionnière, qui invitait déjà à articuler les études anthropologiques et les études classiques (voir Anthropology and the Greeks, 1978). Dans Kinship in Ancient Athens, elle montre pour la première fois à quel point la prosopographie fournit une méthode particulièrement pertinente pour reconstituer les réseaux de parenté (par mariage, filiation, adoption, et selon des échelles de regroupements variées: oikos, genos, anchisteia, phratrie, etc.) et, surtout, mieux comprendre les sociétés du passé. L'ouvrage, conçu dans les années 1980, se présente trente-cinq ans plus tard comme l'aboutissement de recherches patientes et extrêmement savantes. Il met à la disposition de ses lecteurs une documentation attique (textuelle et archéologique) exhaustive assortie d'analyses méthodiques. Au final, Kinship in Ancient Athens s'avère être le résultat d'un très imposant travail d'anthropologie historique (1457 pages dont 1230 pages de texte) sur l'Athènes des périodes archaïque et classique. Le lecteur n'y trouvera pas une synthèse sur la parenté antique entendue comme concept (on reverra plutôt à Maurizio Bettini, Affari di famiglia: la parentela nella letteratura e nella cultura antica. Saggi, 724. Bologna, il Mulino, 2009) mais plutôt un gisement extraordinaire de données sur les Athéniens, chacun saisi comme le parent d'un autre, pour y lire, in fine, la manière dont ces relations structuraient les rapports sociaux et pesaient sur les actions de chacun.

Depuis les années 1980, la thèse de la structuration des cités antiques à partir de groupes de parenté "archaïques" dont les individus se seraient peu à peu libérés a fait l'objet de révisions fondamentales; la prise en compte de l'ensemble de la documentation - textes de la transmission manuscrite ou papyrologique, documentation épigraphique et archéologique - est devenue une exigence scientifique; la comparaison avec les travaux portant sur d'autres cités antiques et/ou sur l'époque hellénistique ou impériale a permis de relativiser l'expérience athénienne. Cela dit, aucun ouvrage récent n'avait encore répondu au projet de S. Humphreys, décrire le fonctionnement global des relations sociales dans l'Athènes archaïque et classique en tenant compte aussi bien des comportements individuels que des comportements collectifs, des attitudes religieuses, politiques et économiques ainsi que des changements institutionnels intervenus entre le 7e siècle et la fin du 4e siècle. Dans cette approche historique et holistique revendiquée, la parenté apparaît comme un élément de structuration fondamental. On regrettera qu'une pensée aussi riche et complexe soit desservie par une organisation en trente-deux chapitres entrecroisant de manière peu lisible logique thématique et logique chronologique: "Legal and Economic Interaction" (plus de 250 pages); "Ritual" (environ 180 pages); "Politics, Informal" (environ 60 pages); "Politics, Formal" (environ 50 pages); "Corporate Groups" (environ 240 pages); "The Demes" (plus de 400 pages). On regrettera plus encore l'absence de conclusion dont on aurait espéré qu'elle souligne les enjeux scientifiques des analyses présentées.

Dans le détail, chacun des chapitres recèle des exemples et des réflexions tout à fait originales et très stimulantes, parfois dans le texte, parfois en note de bas de page. Ainsi, S. Humphreys différencie l'usage opposé de l'adoption et du mariage uxorilocal par les riches et les pauvres à l'époque archaïque; elle démontre que la dot en terres était une pratique ancienne, déjà bien établie à l'époque de Solon; que la loi n'interférait pas ou très peu dans les rapports entre un père et ses enfants. Elle suggère que les relations homosexuelles ont joué un rôle comparable aux anciens mariages en gendre, c'est-à-dire permettre au père de l'épouse/du jeune homme de se constituer des alliés; que le décret de Périclès n'interdisait pas le mariage avec des étrangers ou étrangères mais le rendait simplement moins désirable. Elle montre que les familles restées dans leur dème d'origine ont souvent moins investi l'administration des dèmes que celles qui l'ont quitté, par exemple pour aller en ville. Ceux-là préféraient s'investir dans l'administration de leur phratrie. Certains chapitres constituent de véritables leçons de méthode, ainsi celui sur l'analyse du matériel funéraire qui met en œuvre des compétences pluridisciplinaires pour proposer un bilan critique des travaux publiés depuis son classique The Family, Women and Death: Comparative Studies (1983). Surtout, l'ouvrage démontre que les liens familiaux intervenaient dans la plupart des fonctions à caractère politique (chapitre "Politics: formal"): les archontes choisissaient leur paredroi dans leur parenté, l'ostracisme affectait des groupes de parents. Ainsi, ce qui a longtemps été un argument utilisé pour dévaluer l'action des femmes (elles agiraient en tant que filles de ou épouses de) se trouve ici affirmé pour expliquer l'action des hommes, les citoyens. Eux aussi agissaient en tant que fils, frères, oncles, neveux, etc. La parenté déterminait-elle des possibilités d'action, une agency, qui serait certes déclinée de manière inégale selon l'âge et le sexe mais qui serait le critère structurant et essentiel, bien avant l'âge et le sexe? Cette suggestion aurait pu être discutée.

Reconstituer l'histoire de ces périodes, surtout les 7e-6e siècles, souvent documentées par des sources postérieures, reste une entreprise fragile. S. Humphreys en est consciente et use fréquemment du conditionnel ainsi que d'affirmations générales, sans doute inévitables dans ce genre de synthèse. On regrettera cependant que soit ici véhiculées des idées désormais dépassées, ainsi celle d'un partage des "rôles" homosexuels (voir en dernier lieu, Thomas K. Hubbard (dir.), A Companion to Greek and Roman Sexualities, 2014), que soit répétée, non sans contradictions, l'idée d'une division des sphères publique et privée (malgré François de Polignac et Pauline Schmitt Pantel (dir.), Public et Privé en Grèce ancienne: lieux, conduites, pratiques, Ktèma 23, 1998). Cependant, l'apport incontestable de ce livre magistral réside dans sa dernière partie, consacrée aux dèmes. Il ne s'agit pas, comme dans The Demes of Attica de David Whitehead (1986), d'analyser les activités ayant eu lieu dans les dèmes ou de lister les démarques connus, une entreprise complétée en 1989 par l'Athenian officials de Robert Develin, mais de recenser grâce au nouvel outil fourni par le LGPN II (1994) les réseaux familiaux dans leur ancrage local. Cette micro-histoire privilégie cependant toujours les élites politiques et, parmi elles, surtout les hommes. Au final, cet ouvrage très classique dans son propos et sa méthode, cet ouvrage aux options épistémologiques (reconstituer l'histoire d'Athènes à l'époque de Solon, par exemple) ou aux concepts parfois dépassés (et l'auteure le reconnait), cet ouvrage à la lecture peu aisée, fascine par la somme des documents mobilisés et la hauteur de vue appuyée sur une fréquentation intime des textes antiques (ainsi les orateurs) et de l'historiographie. Kinship in Ancient Athens est déjà un incontournable.

Violaine Sebillotte Cuchet