Timothy J. Johnson / Katherine Wrisley Shelby / John D. Young (eds.): Preaching and New Worlds. Sermons as Mirrors of Realms Near and Far (= Routledge Studies in Medieval Religion and Culture; 13), London / New York: Routledge 2019, XX + 321 S., ISBN 978-1-138-06650-2, GBP 105,00
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Le monde de l'homilétique médiévale est un univers en soi. Il prend matériellement forme à l'occasion de la biennale des congrès de l'IMSSS, l'International Medieval Sermon Studies Society, fondée en 1988, présidée au cours de son histoire par des noms prestigieux comme Leo Carruthers, Beverly Kienzle, Nicole Bériou, Franco Morenzoni ou encore Laura Gaffuri. En 2016, la 20ème rencontre de l'IMSSS a lieu pour la première fois aux États-Unis, au Flagler College dans la ville de Saint Augustine (Floride), dite la plus ancienne ville des États-Unis (1565). Une première donc. D'où l'idée de penser ensemble homilétique et Nouveau Monde, ce qui devient Preaching and New Worlds. Timothy J. Johnson et son équipe prennent en charge l'organisation et l'édition du volume (2019). Il s'agit de penser le concept de « nouveaux mondes » en articulation avec celui d'« anciens mondes » : comment les sermons sont-ils le reflet de ces rencontres culturelles, entre nouveaux et anciens territoires ? Comment traduisent-ils la perception de l'autre ou de l'altérité (Other and Otherness) ? Car la thématique s'inscrit, on l'aura compris, dans la mouvance des études sur l'altérité entre Moyen Âge et première modernité, autour de l'historiographie des missions et des missionnaires, des nouveaux mondes et de l'évangélisation, de la tolérance et de l'intolérance.
Trois sections rassemblent dix-neuf articles: « New Worlds in this Life and the Next » (Section I); « New Identities in New Worlds » (Section II); « Sermons, Missions, and New Worlds » (Section III). Les dix-neuf contributions sont autant d'études de cas dont l'érudition et la spécialisation font parfois perdre de vue le sujet. Mais ne nous leurrons pas, le plus petit déterminateur commun de l'ensemble du volume reste le sermon.
Laura Gaffuri ouvre le volume par une réflexion anthropologico-historique sur la perception de l'autre, le différent, l'étranger, le singulier et partant, sur l'identité et la conformité. La question consiste à penser un proto-racisme à l'époque médiévale et le propos s'ouvre par la question, provocatrice : Were the Middle Ages racist ? Approches médicales, sources géographiques, campagnes missionnaires, et pour finir, analyse de trois sermons de Nicolas de Cues (1456), tel est le déroulé de la présentation. L'idée qui ne se dit pas explicitement reste celle de l'ensemble du volume telle que l'on peut la lire à travers les lignes de l'introduction : derrière la question du racisme, se joue la question de l'intolérance d'une société, son refus de l'altérité et de l'autre, son enfermement solipsiste et le souhait d'un accueil de l'étranger dans ces nouveaux mondes. Comment ne pas voir là, douloureuse, la clameur de la communauté scientifique américaine contre la vision politique de Donald Trump ? La judaïté reste encore le terrain d'observation le plus propice à saisir les approches de l'altérité à l'époque médiévale : l'image du juif dans le cloître est ici traitée à travers les sermons de l'abbé d'Admont, Styrie médiévale (John D. Young). On peut aussi disserter sur l'image de l'Antéchrist dans les sermons de Vincent Ferrier (Carolina M. Losada) ou sur la figure du missionnaire (Nirit Ben-Aryeh Debby).
L'ensemble pourtant, reste, on l'a dit, une série d'études de cas, de monographies sur tel ou tel sermon : les Collationes de Bonaventure (Benjamin Winter), les sermons de Bernardino de Sienne sur le thème du paradis (Steven J. McMichael), la prédication de l'ordre des Carmes, sous-étudié en général (Ralf Lützelschwab) ; les sermons de Tommasina Fieschi, observante dominicaine (Carolyn Muessig), le sermon sur la mort d'Otton de Bamberg (Helmut Flachenecker), les traductions en vernaculaire des sermons de Maurice de Sully (Beata Spieralska), la prédication à partir de la Commedia de Dante dans le monde germanique (Pietro Delcorno), les sermons de Jean de Capistran (Filippo Sedda). Le volume parcourt les mondes hispanique, germanique, anglais, italien mais aussi slaves (Victoria Smirnova, Valeria Kosyakova, Sergei O. Zotov) pour finir, selon l'esprit du volume, sur les analyses grammaticales des langages mésoaméricains, celui de la société Timuaca (Floride du Nord). On l'aura compris, l'ensemble perd en cohérence ce qu'il compte gagner en ouverture transculturelle. La visée est louable, mais le lecteur peine à saisir une vue de synthèse. Comme beaucoup de collectifs, on y aura recours avec profit pour tel ou tel sujet spécialisé et érudit.
Bénédicte Sère