Achim Hubel / Jens Rüffer / Gábor Endrődi: Meister Ludwig - Peter Parler - Anton Pilgram. Architekt und Bildhauer? Zu einem Grundproblem der Mediävistik, Ostfildern: Thorbecke 2021, 348 S., ISBN 978-3-7995-1515-3, EUR 28,00
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Barbara Franzé / Nathalie Le Luel (éds.): Le transept et ses espaces élevés dans l'église du Moyen Âge (XIe-XVIe siècles). Pour une nouvelle approche fonctionnelle (architecture, décor, liturgie et son), Turnhout: Brepols 2018
Achim Hubel: Denkmalpflege. Geschichte. Themen. Aufgaben. Eine Einführung, Stuttgart: Reclam 2006
Jens Rüffer: Werkprozess - Wahrnehmung - Interpretation. Studien zur mittelalterlichen Gestaltungspraxis und zur Methodik ihrer Erschließung am Beispiel baugebundener Skulptur, Berlin: Lukas Verlag 2014
Achim Hubel / Manfred Schuller: Der Dom zu Regensburg. Teil 5 - Tafeln, Regensburg: Friedrich Pustet 2010
Cet ouvrage s'attaque à un problème fondamental de l'historiographie de l'art : savoir si les maîtres d'œuvres et bâtisseurs médiévaux étaient aussi, systématiquement, des sculpteurs. Il aborde également la transformation de la profession d'architecte, souvent comprise comme marquant le début d'une modernité coïncidant avec la "Renaissance". Ces questions sont développées dans trois études, signées par Achim Hubel (Universität Bamberg), Jens Rüffer (Universität Bern) et Gábor Endrődi (Eötvös Loránd University, Budapest). Hubel concentre sa réflexion sur le chantier de la cathédrale de Ratisbonne, tandis que Rüffer et Endrődi se penchent respectivement sur les cas de Peter Parler (vers 1333-1399) et d'Anton, dit Pilgram (vers 1460-1515). Le volume est le troisième d'une série sur l'histoire de l'art et l'historiographie artistique de la partie orientale de l'Europe centrale, inaugurée en 2016 et intitulée Kompass Ostmitteleuropa, dont le but est la publication d'études allant au-delà des frontières nationales modernes. La version PDF de l'ouvrage est librement disponible sur le site de l'éditeur. [1]
Dans la première étude, Achim Hubel plaide pour un élargissement des catégories historiographiques à propos du degré de spécialisation des artistes. Il rappelle que les peintres fournissaient des ébauches de vitraux et d'orfèvrerie, travaillaient à la polychromie des sculptures, et que les tailleurs de pierre sculptaient aussi sur bois. La question du degré auquel le maître d'œuvre d'une cathédrale signait son travail en travaillant aux finitions, tels les ornements architectoniques, contourne les catégorisations modernes de l'histoire de l'art (et de la muséalisation). La collaboration et la coordination entre ateliers devient ici un problème majeur, avec un lien souvent étroit, voire une identité entre sculpteurs et architectes. Ainsi un artifex parfaitement formé a-t-il pris la direction du chantier de la cathédrale de Strasbourg entre 1210 et 1220 : il était probablement un sculpteur doué, réalisant les statues du transept sud, mais aurait également fourni les directives essentielles en tant qu'architecte, surtout dans sa décision de maintenir extrêmement fin le Pilier du Jugement, ce qui témoigne de ses connaissances en statique (24). Hubel analyse d'autres cas remarquables notamment à Naumbourg, Bâle, Ratisbonne, Cologne, Ulm. À Ratisbonne, cas d'étude sur plusieurs siècles pour l'auteur qui avait déjà mené un projet de longue haleine à propos de la cathédrale [2], on retrouverait à la fin du XIIIe siècle le même maître qu'à Bâle, dit "d'Erminold". D'abord seulement sculpteur, ainsi du tombeau du premier abbé de l'abbaye bénédictine de Prüfening, à l'ouest de la ville bavaroise, il aurait joué un rôle-clé dans la transformation délicate de sa cathédrale, déjà commencée, en un édifice gothique "à la française". Ainsi faudrait-il reconnaître en maître Ludwig, dont il est attesté qu'il reçut la pleine responsabilité de ce chantier vers 1290, la figure du maître d'Erminold, lequel se profile donc comme une figure remarquable de sculpteur-architecte de la fin du XIIIe siècle (47-48). Marquant le tournant du XIVe siècle, maître Ludwig fonde une dynastie de maîtres d'œuvres-sculpteurs que Hubel suit jusqu'au XVIe siècle. Cette durée témoigne selon le chercheur d'une interconnexion fertile des genres artistiques, qui se développe dès la fin du XIIIe et prend de l'élan au XIVe siècle. Les données réunies par Hubel permettent de constater que les maîtres d'œuvres étaient polyvalents, responsables à la fois du plan, du processus de construction, de la taille des pierres et des autres décorations plastiques. La comparaison entre Ratisbonne d'autres chantiers montre que ces derniers fonctionnaient de manière similaire : le maître d'œuvre était une figure décisive, dont le salaire dépassait de loin celui des autres membres de son atelier. Au fil d'une longue formation passant d'une période d'apprentissage à des années de mobilité puis à une reconnaissance en tant que compagnons, un tailleur de pierre pouvait être initié à la planification et à la construction. Enfin artifex à la formation "universelle", il pouvait être nommé maître d'œuvre sur le chantier d'une cathédrale. D'une telle manière, du XIIIe au XVIe siècle, il semblerait que la majorité des maîtres d'œuvres, si ce n'est tous, aient effectivement été des sculpteurs adroits, pouvant décider des tendances stylistiques et du langage formel d'un édifice dans toutes ses parties.
Dans la seconde étude, Jens Rüffer livre un résumé historiographique de questions méthodologiques importantes autour de la figure de Peter Parler, élu dans la bibliographie tchèque et allemande du XIXe et du premier XXe siècle comme une personnalité artistique notoire. Sur cette base, Rüffer reprend la question des architectes-sculpteurs, au Nord des Alpes surtout. Il rappelle que l'appréciation de Parler s'est faite simultanément à l'établissement de l'analyse stylistique comme méthode majeure de l'histoire de l'art. La mise en parallèle de Parler avec les figures d'artistes de la "Renaissance" a été prompte, avec l'apparition de termes tels que "style Parler" (Parlerstil) ou "gothique Parler" (Parlergotik). Or l'application d'une forma mentis postérieure au XIVe siècle pose un problème de méthode, que Rüffer reconsidère au regard d'une série de documents visuels ou épigraphiques et d'autres sources, brossant un portrait plus nuancé. Son analyse considère une par une les différentes "spécialités" de Parler, de bâtisseur à sculpteur sur pierre et sur bois. Rüffer déconstruit la thèse de Parler comme artiste universel, concluant qu'elle repose moins sur des faits vérifiables que précisément sur une construction historiographique s'efforçant de faire sortir de l'anonymat l'artiste-génie qui faisait tant défaut au Moyen-Âge (206). Au terme de cette déconstruction, il ne reste plus grand chose de la famille Parler ou de la figure de Peter Parler : le nom Parler ne semble établi qu'avec l'architecte à Prague, tandis que son association au maître Peter mentionné dans le livre de comptes de la cathédrale Saint-Guy n'est qu'une hypothèse parmi d'autres. L'attribution des stalles du chœur au maître n'est selon Rüffer qu'une "fiction de l'histoire de l'art". Rejoignant Hubel, Rüffer affirme que seules des études considérant les interactions complexes entre des maîtres d'œuvre (souvent itinérants), des compagnons, des corporations d'artisans et des autorités communales permettent de comprendre les dynamiques de spécialisation et de créativité artistique. L'auteur signale enfin la quantité d'archives encore inexplorées qui permettront - au terme d'un travail de longue haleine - d'affiner nos connaissances à ce sujet.
L'étude de Gábor Endrődi sur la figure d'Anton de Brno (Brünn), dit Pilgram, a le grand mérite de rouvrir le sujet complexe de cette figure élusive : il s'agit avant tout, comme pour Parler, d'un problème historiographique d'envergure, puisque Pilgram a été tiraillé entre les historiographies de l'art tchécoslovaque, tchèque et germanophone. On lui attribue une riche œuvre architecturale, et au plus tard avec les travaux de Wilhelm Vöge (1868-1952), une personnalité de sculpteur de génie. Endrődi souhaite précisément démanteler ce mythe historiographique en soutenant que maître Anton n'était que l'architecte, et non le sculpteur des œuvres qui lui sont attribuées. Au fil d'un chapitre rappelant l'historiographie problématique et amenant de nouveaux éléments au dossier, Endrődi en vient à conclure que pour la décoration de la chaire et du pied de l'orgue à la cathédrale de Vienne - probablement les travaux les plus célèbres attribués au maître -, Pilgram fit appel à un autre spécialiste, dont il identifie le monogramme MT. Ce maître MT doit être considéré comme l'un des sculpteurs les plus innovants et importants au début du XVIe siècle entre Vienne et le Sud de l'Allemagne.
En remettant en question des figures aussi fameuses que Parler et Pilgram, ces deux chapitres complètent harmonieusement le premier, rappelant la nécessité d'une déconstruction historiographique des mythes historico-artistiques hérités des XIXe et XXe siècles. L'ouvrage est plaisant dans la mesure où cette déconstruction ne se fait pas d'une unique voix autoritaire, mais émerge de la polyphonie de trois chercheurs de générations et de contextes différents, qui parviennent à réévaluer un thème inscrit dans une longue tradition, questionnant plus généralement le rapport entre génie artistique, artistes et artisans.
Annotations :
[1] https://shop.verlagsgruppe-patmos.de/media/medien/pdf/ebook/9783799515269_ebook.pdf.
[2] Achim Hubel / Manfred Schuller (dir.): Der Dom zu Regensburg, 5 vol. (=Die Kunstdenkmäler von Bayern, NF 7,1-5), Ratisbonne 2010-2018.
Adrien Palladino