Rezension über:

Manuela Beer (Hg.): Magie Bergkristall, München: Hirmer 2022, 447 S., 394 Farb-Abb., ISBN 978-3-7774-4053-8, EUR 55,00
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Rezension von:
Philippe Cordez
Deutsches Forum für Kunstgeschichte, Paris
Redaktionelle Betreuung:
Joanna Olchawa
Empfohlene Zitierweise:
Philippe Cordez: Rezension von: Manuela Beer (Hg.): Magie Bergkristall, München: Hirmer 2022, in: sehepunkte 23 (2023), Nr. 3 [15.03.2023], URL: https://www.sehepunkte.de
/2023/03/37982.html


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Manuela Beer (Hg.): Magie Bergkristall

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À quelques centaines de mètres de la cathédrale de Cologne, près du palais de l'évêque et dans la zone relevant de son pouvoir, on travaillait au XIIe siècle le cristal de roche. Des fouilles archéologiques en 2005 ont mis au jour les restes de cet atelier : des dizaines de milliers d'éclats de cristal, soit plus de trois kilos ; trois petits marteaux de fer ; des pierres à polir plus ou moins fines, le tout dans une fosse au-dessus de laquelle le polissage avait lieu. Ceci correspond à la fabrication de cabochons de quelques centimètres, confirmant ce qu'indiquaient nombre d'objets dans les églises et les musées : la région du Rhin et de la Meuse, et notamment Cologne, grande ville marchande et l'une des plus peuplées d'Europe, était alors un centre important du travail du cristal. Le matériau venait surtout des Alpes, via le Rhin par bateau, ou peut-être parfois roulé par le fleuve.

Cette exceptionnelle découverte a motivé une exposition d'envergure au Museum Schnütgen, le musée du Moyen Âge de la ville de Cologne, et l'un des plus importants qui soient pour cette période. Le livre dirigé par Manuela Beer, commissaire de l'exposition, s'inscrit dans un renouvellement de l'histoire des objets, qui complète l'étude des représentations - textes comme images - en saisissant techniques et pratiques, matérielles et symboliques. Du fait de ses propriétés perceptibles par les sens (sa transparence, sa dureté, sa froideur) et des interprétations que l'on en fit, le cristal de roche a suscité un intérêt particulier au Moyen Âge. Il a inspiré des recherches récentes [1], utilement synthétisées et approfondies ici.

Les livres accompagnant des expositions constituent un genre éditorial, scientifique et littéraire dont l'histoire reste à étudier. Celui-ci innove de manière intéressante. Les 215 notices d'objets, réduites aux informations techniques et bibliographiques, sont rejetées à la fin (408-423). N'est exposée que la moitié environ de ces objets, marqués d'une étoile. Ce procédé a permis de désolidariser le livre des questions de prêt et de transport, et de concevoir plus librement un ouvrage proche d'une production académique. De fait, une semaine d'études en collaboration avec l'Université de Cologne et un colloque au musée ont préparé l'exposition et la publication. Tous les objets sélectionnés pour le livre sont reproduits et commentés dans l'un ou l'autre texte. Ceux qui se trouvent à Cologne ont bénéficié d'une campagne photographique documentant comme jamais leurs effets de lumière, ce qui participe au rafraîchissement du regard et des questions. Vingt-cinq articles thématiques de dix à quinze pages et neuf présentations d'objets en deux doubles-pages, par plus de trente auteurs et autrices, sont rassemblés en quatre sections (alors que l'exposition en compte quinze).

Après des introductions de Manuela Beer autour du matériau et de Cynthia Hahn à propos d'expérience divine, la première section, "Du minéral à l'artefact", s'ouvre sur un exposé géologique par Susanne Greiff. L'histoire économique est abordée par Julia Bruch, les aspects techniques par Silke Ingenhorst. Jens Berthold présente l'atelier découvert à Cologne. Le crucifix de cristal du conseil de la ville de Freiberg dans les monts Métallifères de Saxe, créé vers 1500 et complété à ses extrémités au XVIe siècle par des scènes d'activités minières associées de fait à l'œuvre du Christ, est introduit par Dirk Syndram. Les productions colonaises des XIIe-XIVe siècles font l'objet d'articles par Anna Pawlik et Adam Stead, dans un temps fort de l'ouvrage. Suivent les productions de Venise, discutées par Michela Agazzi puis par Silvia Spiandore à propos de la croix conservée à Erfurt, autre ville marchande : datée vers 1335, elle n'avait pas reçu l'attention méritée. Comme nombre d'objets vénitiens des XIIIe-XIVe siècles, elle combine des plaquettes de cristal protégeant des enluminures et des plaquettes de jaspe rouge, plusieurs métiers collaborant selon un système modulaire qui permet aussi bien de fabriquer un échiquier. Ce concept commercial semble avoir été repris à Cologne, ainsi pour deux coffrets utilisés comme reliquaires à l'église Sainte-Ursule (cat. 116-117). La perspective s'élargit avec Marcus Pilz, qui esquisse l'histoire de la taille du cristal dans une large zone autour de la Méditerranée, des abbassides de Bagdad aux fatimides du Caire aux Xe et XIe siècles, puis à la Sicile, à l'Empire à compter du XIIe siècle, enfin à Paris, Venise et Prague à partir du XIIIe siècle. Birgitta Falk présente deux objets du IXe ou Xe siècle fixés sur l'ambon offert entre 1002 et 1014 par le roi Henri II à la chapelle palatine d'Aix-la-Chapelle, et Henrike Haug le petit groupe des verres dits de sainte Edwige, taillés comme du cristal, sans doute en Sicile aux XIIe-XIIIe siècles.

La deuxième section s'intitule "Redécouverte et appropriation de l'Antiquité". Dietrich Boschung présente le cristal de roche en Grèce et à Rome, Christel Meier-Staubach expose les significations données au matériau dans les textes médiévaux : krystallos désigne la glace, les Grecs associant le cristal à l'eau gelée ; relayée par Pline l'Ancien, cette idée fonda son un lien avec l'eau du baptême, entre autres interprétations. Isabelle Bardiès étudie les lions de cristal, et notamment la paire de têtes du musée de Cluny, des IVe ou Ve siècles. Hiltrud Westermann-Angerhausen traite des réemplois. Uta-Christiane Bergemann introduit le panneau reliquaire de la cathédrale de Halberstadt, créé dans le deuxième quart du XIIIe siècle pour abriter des reliques rapportées de la quatrième croisade. Genevra Kornbluth présente les amulettes mérovingiennes, dont un pendentif sphérique provenant d'une tombe féminine du VIe siècle de la cathédrale de Cologne, ainsi que les intailles carolingiennes, de grande qualité technique et conceptuelle.

La troisième section met en scène le cristal comme "Manifestation de force et de beauté". Holger Kempkens en discute les aspects christologiques, Andrea Wegener le cas du reliquaire du clou de la crucifixion du couvent d'Essen, du XIe siècle. Anne Kurtze interroge la notion de perméabilité (plutôt que de transparence) liée au cristal lorsqu'il est mis en œuvre dans les reliquaires et les monstrances. Andrea von Hülsen-Esch contextualise les idées de l'abbé Suger de Saint-Denis, peu avant le milieu du XIIe siècle. Gerhard Lutz explore l'emploi du cristal sur les sculptures médiévales. Svenja Trübenbach interprète dans la peinture des XVe-XVIe siècles des objets de cristal qui sont fantastiques et d'autant plus signifiants. Karen Straub considère le cristal dans les insignes du pouvoir. Moritz Woelk met à profit l'inventaire illustré de la collection du cardinal Albrecht de Brandenbourg, réalisé en 1526/1527 : environ 60 reliquaires sur 350 comportent du cristal. Appartint aussi au cardinal la table de jeu d'Aschaffenbourg, créée vers 1300 peut-être à Venise, introduite par Thomas Schauerte. Franz Kirchweger présente une grande cruche parisienne de la première moitié du XIVe siècle, aujourd'hui à Vienne. Kirsten Lee Bierbaum étudie la présence du cristal sur les tables courtoises.

Plus courte, la dernière section s'intitule "Voir et toucher". Bernd Lingelbach et Olaf Schmidt-Kiy présentent des lentilles aux étonnantes propriétés optiques, taillées aux IXe-XIe siècles par les vikings de Gotland au large de la Suède : ainsi onze d'entre elles au revers d'argent, montées en un collier conservé à Stockholm renvoyant à qui observait son porteur une image précise, réduite ; inversée, démultipliée. Le reliquaire de 1443 sur lequel on prêtait serment à l'hôtel de ville de Lunebourg, aujourd'hui à Berlin, est introduit par Lothar Lambacher. Pour finir, Manuela Beer présente des objets liés au corps et à des pratiques magiques : elle fait justice au titre, dont on espère qu'il attirera l'attention, à défaut de bien exprimer la belle ampleur de son travail.

Une version parisienne de l'exposition ouvrira en septembre 2023 au musée de Cluny, grâce à une collaboration des deux musées qui a été rare jusqu'ici [2], et qui est très bienvenue.

Notes:

[1] Utile encore : Hans R. Hahnloser, Susanne Brugger-Koch, Corpus der Hartsteinschliffe des 12.-15. Jahrhunderts, Berlin 1985 ; Genevra Kornbluth, Engraved Gems of the Carolingian Empire, University Park 1995. Depuis, voir surtout : Stefania Gerevini, "Sicut crystallus quando est obiecta soli": Rock Crystal, Transparency and the Franciscan Order, dans Mitteilungen des Kunsthistorischen Institutes in Florenz 56, 2014/3, p. 255-283 ; Cynthia J. Hahn, Avinoam Shalem (dir.), Seeking Transparency. Rock Crystals Across the Medieval Mediterranean, Berlin 2020 ; Marcus Pilz, Transparente Schätze. Der abbasidische und fatimidische Bergkristallschnitt und seine Werke, Darmstadt 2021, et le livre de vulgarisation à connotation autobiographique d'un ancien directeur du Museum Schnütgen : Anton Legner, Faszination Bergkristall. Kölner Erinnerungen, Cologne 2021.

[2] Viviane Huchard (dir.), Un trésor gothique. La châsse de Nivelles, cat. exp. Musée national du Moyen Âge - Thermes de Cluny, Paris 1996 ; version all. Hiltrud Westermann-Angerhausen (dir.), Schatz aus den Trümmern. Der Silberschrein von Nivelles und die europäische Hochgotik, cat. exp. Schnütgen-Museum, Cologne 1995, cf. id., "Schatz aus den Trümmern. Der Silberschrein von Nivelles und die europäische Hochgotik - Geschichte einer Ausstellung", dans Das Münster, 73/1, 2020, p. 17-20. En 2002, l'exposition Cologne en résidence présentait des objets du musée Schnütgen au musée de Cluny.

Philippe Cordez